Poèmes : #  A B C D E F G H I J K L M N O P Q R S T U V W X Y Z #  Warning: Undefined array key 27 in /customers/b/4/a/lartdetrehumain.net/httpd.www/poemes.php on line 56 Warning: Undefined array key 27 in /customers/b/4/a/lartdetrehumain.net/httpd.www/poemes.php on line 59 Warning: Undefined array key 27 in /customers/b/4/a/lartdetrehumain.net/httpd.www/poemes.php on line 59  

Vous lisez

Oujda fraternité

Serge Noël,  le 12.03.2016

sur la plaine étale
entre Nador et Oujda
au milieu d'un cirque de montagnes qui se perdent dans les brumes gris bleu
comme des chevaux de pierre
on voit des sacs en plastique bleu qui jonchent les prairies
et là
des grenadiers offrent leurs fruits mûrs aux ardents rayons du matin
le long de la route on vend des bouteilles de combustibles rose et jaune
des pommes des oranges
on passe par Berkane
et plus loin ce sont des étalages de melons oblongs
il y a des vergers
des oliveraies des vignes
et des pépinières entourées de sifsas de murailles de figuiers de barbarie
et de palmiers dattiers lourds de soleil
les maisons en construction ponctuent les abords des petites villes pleines d'enfants
qui guident les chèvres et les moutons
et qui regardent passer les voitures avec l'air de ne pas y croire
de temps en temps des flics bruns et gras installent un poste de contrôle et le taxi ralentit prudemment
au c½ur d'un jeu de lumière où alternent les ors et les soies du jour
passant au-dessus d'oueds réduits à l'état de chemins de rocaille
entourés de touffes hautes de joncs en fleur
on arrive à Oujda

"Tissu associatif" près de Dar Taliba
une foule de gens se presse devant les tentes blanches
on vient s'inscrire au deuxième forum social maghrébin consacré aux migrants
après celui de Bruxelles en janvier 2010 sous la neige et dans le froid boréal
c'est le soir du 5 octobre il fait doux
des femmes africaines discutent devant l'entrée
il y a des Français des Belges des Allemands des Espagnols toute sorte de militants algériens tunisiens mauritaniens
et parmi ces femmes et ces hommes habitués des réunions et des congrès internationaux
plus de 150 Subsahariens du Maroc
qui viennent de Rabat de Casablanca de toutes les villes du pays
et qui apportent des vies pleines d'injure
des vies pleines de cri pleines d'angoisse
des vies pleines de contrôles policiers
de tabassages d'extorsions de rackets de refoulements
des vies pleines de soif de colère
elles et ils les diront ces vies
au micro devant les centaines de délégués venus de partout
une femme pleurera en parlant de viol
on entendra le pas des femmes enceintes sur la route du Sud
et les sanglots des enfants
les militants marocains écoutent
c'est leur pays qui est ainsi défiguré par le rictus ignoble du racisme
c'est leur c½ur qui saigne avec celui des frères et s½urs africains
pour un autre Maroc où l'étranger est accueilli reçu honoré
dans les forêts
au milieu des taillis où il faut ramper le long de la frontière
à Taqadoum où se multiplient les agressions les insultes
une femme explique qu'elle a peur de rentrer chez elle après ce forum
parce que des voyous attendent devant la porte
dans la ruelle
et la dépouillent du peu qu'elle possède en ce monde
un homme raconte que les dirhams filent vite entre la nourriture et le loyer exorbitant pour un gourbi infâme
il reçoit un peu d'argent de la famille restée au pays
mais les flics le contrôlent et confisquent l'argent du loyer qui venait d'arriver
cet autre raconte comment les hommes blessés malades sont rejetés des hôpitaux
la colère fait vibrer les poitrines et les murs
ici quatre cents êtres humains se sont réunis pour écouter pleurer
pour écouter crier
pour écouter parler les âmes africaines
pour affirmer ensemble
qu'un autre Maroc est possible
un autre Maghreb
un autre monde
on mange ensemble on sourit
fébrilement on s'échange des téléphones des mails

pour ma part j'ai rencontré les amis du Conseil des Migrants subsahariens du Maroc
qui a été enfanté dans la douleur il y a sept ans
au plus fort de la vague de répression qui a vidé la forêt de Bel Younech
dans le nord-ouest près de Ceuta
et les quartiers pauvres de Rabat
je les écoute je les regarde
je me demande où ils vont pêcher leur courage
ils ont un petit local un ordinateur des statuts ils s'organisent
ils ont une arme qu'aucun flic ne pourra jamais leur arracher des mains
ils ont leur dignité
ils sont humains
ils rêvent eux aussi aux étoiles
ils dorment eux aussi dans le souvenir de leur enfance
ils se lèvent eux aussi le matin avec le doute chevillé au corps
ils cessent eux aussi de croire aux monstres des légendes quand le jour disperse la nuit
ils ont eux aussi les droits dont se drape l'Europe
qui les repousse comme des parias
ils marchent eux aussi avec des projets à travers la plaine
ils se vêtent eux aussi du mot de liberté
et du mot de justice
ils sont le fleuve qui déborde
l'orage qui déchire le ciel
le vent qui transporte les pays

quand le lendemain nous sommes allés en autocars à Zouj Bghal
les chants et les cris ont traversé la frontière
tu sais
je ne suis pas du genre à appeler frère ou s½ur n'importe qui
pour des raisons de patrie de parti ou de religion
tu sais
j'ai crié j'ai chanté avec mes frères et mes s½urs africains
par-delà cette frontière algérienne fermée depuis tant d'années
qui s'ouvre la nuit quand on rampe entre les taillis secs et piquants
entre les rochers tranchants
entre les patrouilles de soldats qui n'hésitent pas à tirer
j'ai crié j'ai chanté avec les gens de ma tribu
celle que je me suis choisie
celle qui ne s'arrête pas aux frontières qui ne se résigne pas
qui n'attend pas
je ne sais pas ce qu'il sortira de concret de ce forum maghrébin des migrants à Oujda
pour les hommes et les femmes noirs qui s'arcboutent à leurs rêves
et à nos fragiles amitiés
j'engage les amis en Belgique
à être solidaires
à faire connaître leur situation à dénoncer les crimes contre eux
à leur envoyer du fric
à être le plus près d'eux possible

il y eut un moment un endroit au grand jour
où les hommes étaient égaux
il y eut une île de fraternité
un navire de tendresse
contredisant les océans d'indifférence
il y avait quatre cents personnes
représentant à leur tour des centaines et des milliers d'autres
réunies dans un amphithéâtre à Oujda
et à la frontière
que l'océan n'effraie pas
ils vont dès demain en pateras pour chercher les chemins de la fraternité


---------

Oujda, 7 octobre 2012

 

Commentaires

Laissez un commentaire.

Tous les champs sont obligatoires.